Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé
Le Barreau n’y est pas assujetti
Le 30 juin 1996, le Commissaire Paul-André Comeau de la Commission d’accès à l’information a prononcé une ordonnance1 à la suite d’une demande d’examen de mésentente. Cette mésentente a pris naissance lorsque Jean Grenier a formulé une demande d’accès auprès du Collège des médecins du Québec afin d’obtenir copie du dossier concernant la plainte qu’il avait déposée en 1994 contre un médecin. Le syndic du Collège a refusé de communiquer les documents recueillis lors de l’enquête ainsi que la correspondance échangée avec le médecin visé par la plainte. Le Collège estime que les enquêtes qu’il mène ont un caractère confidentiel en vertu du Code des professions et que le syndic est assujetti à un devoir légal de confidentialité. En outre, pense-t-il, il n’est pas assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
Le Commissaire Comeau n’arrive pas à la même conclusion. Celui-ci estime plutôt que le syndic et le Collège des médecins sont assujettis à la Loi et ordonne la poursuite de l’audience2.
Décision de la Cour supérieure
Devant l’impasse, les requérants3 demandent à la Cour supérieure l’annulation de l’ordonnance et le prononcé à l’effet qu’ils ne soient pas assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ils estiment, contrairement à la Commission d’accès à l’information, que cette loi ne s’applique qu’aux entreprises en exploitation au sens de l’article 1525 du Code civil et qu’ils ne sont pas visés par cette disposition.
Le juge Alphonse Barbeau a entendu l’affaire4 et relève au passage que cette ordonnance de la Commission est contraire à deux ordonnances antérieures prononcées par cette même Commission qui énoncent que le syndic du Collège des médecins n’est pas assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels. À contrario, l’ordonnance de la Commission d’accès décrète que le Collège des médecins est une «entreprise» aux termes de l’article 1525 du Code civil et, par ce fait, assujetti à cette loi, d’où la question soulevée devant le juge Barbeau à l’effet du véritable état juridique des requérants.
Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer si l’ordre professionnel est une «entreprise» au sens de l’article 1525 du Code civil tel qu’en a décidé la Commission. Le juge estime qu’il faut chercher à donner au terme «entreprise» une interprétation conforme à l’esprit et l’intention du législateur dans le contexte des diverses lois trouvant application en l’espèce. Le juge conclut que la Loi d’accès aux documents publics ne trouve pas application et la Loi sur la protection des renseignements dans le secteur privé ne s’applique qu’à l’égard des mésententes susceptibles de se soulever sous les articles 35 à 41 du Code civil. Ces articles concernent le respect de la réputation et de la vie privée. Les activités du Collège des médecins ne concernent aucunement la réputation et la vie privée du public. Par conséquent, le juge conclut que la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé ne s’appliquent pas aux ordres professionnels suivants: le Collège des médecins du Québec, le Barreau du Québec, la Chambre des notaires et l’Ordre des pharmaciens, de même que leurs syndics et syndics adjoints.
Le juge précise le caractère public indéniable de ces corporations5 professionnelles désormais assujetties au Code des professions et énonce qu’«étant publiques, elles n’entrent pas dans le secteur privé défini et envisagé par la loi ici à l’étude. Il paraît manifeste que le législateur l’a voulu ainsi.» Par ailleurs, le juge indique que des structures ont été mises en place par le législateur dans le Code des professions qui prévoit des recours d’accès disponibles ainsi qu’un mécanisme en cas de mésentente, soit celui de la plainte auprès du syndic s’il y a lieu, le dépôt au comité de discipline et l’appel possible au Tribunal des professions.
Peu coûteux et facile
Ce jugement aura-t-il pour effet de limiter les droits du simple citoyen à un recours peu coûteux et simple?
Selon Me Marc Bergeron, procureur de la Commission d’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé fournit un recours peu coûteux et relativement efficace s’il s’agit d’une entreprise. «Exclure les ordres professionnels de l’application de cette loi, c’est aussi exclure un recours peu coûteux et facile. Par ce fait, cette loi enlève au citoyen un droit d’avoir accès à son dossier et s’il fait face à un refus, la possibilité de prendre un recours en révision qui est simple et gratuit. Il devra dorénavant exercer son recours devant la Cour supérieure en vertu des dispositions du Code civil ce qui, dans les faits, est une importante perte de droit.»
Me Bergeron croit que l’intention du législateur était d’assujettir les ordres professionnels à cette loi. Il n’aura d’autres choix, selon lui, que d’amender éventuellement la loi et d’y inclure explicitement les Ordres professionnels.
Pour sa part, Me François Charrette, procureur des intervenants, croit que la perte de recours qu’invoque Me Bergeron demeure plus théorique que pratique «puisque les dossiers que détiennent les or-dres professionnels sont des dossiers des membres et non du simple citoyen.» Il considère qu’au contraire le public sera mieux protégé puisqu’assujettir le Collège des médecins à la Loi sur la protection des renseignements personnels a pour effet de restreindre la protection des renseignements obtenus par le syndic. Le syndic a pour rôle de faire enquête, de rencontrer des gens dans le cadre de l’enquête afin de s’assurer s’il y a lieu, de poursuivre. Avec ce jugement, estime Me Charette, ce processus sera à l’abri et le syndic sera en mesure de mener à terme les enquêtes sans que les personnes interrogées demeurent muettes de crainte que les propos recueillis puissent faire l’objet du regard du plaignant. Ainsi, les activités du syndic sont protégées. «Permettre l’accès public au dossier du syndic créerait une entrave sérieuse aux enquêtes du syndic.»
L’un des procureurs des requérants, Me Jacques Prévost, abonde dans le même sens et ne croit pas que la décision vient démunir le citoyen, bien au contraire. «L’enjeu était l’autonomie des ordres professionnnels et sans cette décision, les différentes fonctions du syndic qui permettent de veiller à la protection du public étaient autrement en péril.» Me Prévost considère que les syndics ont des pouvoirs pour protéger l’intégrité du système. D’ailleurs, le Code des professions à ses propres mécanismes et pouvoirs de réglementation prévus pour protéger la confidentialité.
«La Loi sur la protection des renseignements personnels est une loi importante mais elle ne doit s’appliquer que dans son champs de compétence et permettre au Code des professions d’avoir un sens.» Il croit que ce jugement crée un équilibre qui permet aux ordres professionnels d’exercer leur fonction.
1 Jean Grenier c. Collège des Médecins du Québec, Commission d’accès à l’information du Québec, Commissaire Paul-André Comeau, 20 juin 1996.
2 L’article 35 de la Loi sur la protection des renseignements personnel dans le secteur privé énonce que les tribunaux ordinaires ou les organismes d’accès en sont le forum.
3 Le syndic adjoint du Collège des médecins et le Collège des médecins du Québec ainsi que les intervenants: le Conseil interprofessionnel du Québec, le Barreau du Québec, le syndic du Barreau, la Chambre des notaires, l’Ordre des pharmaciens du Québec et le syndic de l’Ordre des pharmaciens.
4 Collège des Médecins et Docteur Marguerite Dupré c. Paul-André Comeau et Commission d’accès à l’information du Québec et autres, C.S. 10 décembre 1996, 500-05-022061-962.
5 Le terme «Corporation» devient «Ordre».
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