PAR PATRICE BERGERON
MONTREAL (PC) – Pierre Turgeon, l’auteur d’un livre controversé sur le fondateur de Réno-Dépôt, a été débouté en Cour d’appel, mais il entend porter sa cause en Cour suprême.
L’écrivain a confirmé à la Presse Canadienne samedi qu’il avait été débouté par le plus haut tribunal du Québec, mais qu’il entendait “défendre la liberté d’_expression” jusqu’à la Cour suprême.
Dans un jugement rendu jeudi, nouvel épisode d’une saga qui dure depuis les années 1990, la Cour d’appel a donné raison à Réno-Dépôt, maintenant propriété de Rona, qui refuse de publier le manuscrit commandé à Pierre Turgeon sur la vie de Paul-Hervé Desrosiers, fondateur du quincaillier Val-Royal, qui deviendra plus tard Réno-Dépôt.
Selon l’interprétation du contrat entre Turgeon et Réno-Dépôt échafaudée par le tribunal, si l’entreprise refuse de publier le livre, il ne peut être publié ailleurs, ce que voudrait faire Pierre Turgeon.
De même, l’avocat de Pierre et Claude Michaud, héritiers de Desrosiers, a plaidé que le droit d’auteur n’était pas un droit fondamental au Canada.
L’écrivain a déclaré en entrevue samedi que la décision “est un retour en arrière inadmissible pour le droit d’auteur, qui ramène la propriété intellectuelle à la propriété d’une boîte de clous”.
Il entend en appeler à la Cour suprême parce que selon lui, “c’est une attaque à la liberté d’_expression” et de plus, le débat sur la propriété des héritiers sur les faits entourant le vie d’une personne décédée n’est pas tranché.
L'”affaire Turgeon” remonte au milieu des années 1990, quand les héritiers de P.-H. Desrosiers ont commandé un manuscrit sur la vie de l’homme d’affaires né au début du XXe siècle et mort en 1969. Desrosiers a été longtemps près de l’Union nationale de Maurice Duplessis, mais aussi du premier ministre libéral Robert Bourassa. Le livre devrait s’intituler “P.H. le magnifique, éminence grise de Duplessis”, a précisé l’auteur. Après avoir approuvé le plan et le manuscrit de l’auteur, les héritiers se sont ravisés et ont convenu avec la maison d’édition (Editions de l’Homme) de ne plus le publier.
“Ils ne voulaient plus qu’on parle des liens de leur grand-oncle avec Maurice Duplessis, c’est ce qu’ils invoquent”, a commenté M. Turgeon.
L’auteur s’est alors tourné vers une autre maison d’édition et c’est alors que les descendants ont obtenu une injonction pour interdire la publication de l’ouvrage, au nom de l’article 35 du Code civil, qui stipulait que les faits entourant la vie d’une personne décédée appartenaient à ses héritiers. Pourfendu par les historiens, les journalistes et même les généalogistes, la disposition a été abrogée en 2002 de façon rétroactive par le ministre de la Justice de l’époque, Paul Bégin.
Toutefois, la Cour d’appel, dans sa décision, a refusé de se prononcer sur l’abrogation rétroactive de l’article 35, qui était le fondement à l’origine de l’injonction des héritiers.
“Le débat reste donc entier”, estime l’auteur, “je dois aller à la Cour suprême, même si je ne sais pas combien d’années tout cela prendra.”
L’écrivain regrette par ailleurs que des centaines d’heures de recherches, “la mémoire collective du Québec”, ne puissent ainsi être diffusées. Il cite notamment une cinquantaine d’heures d’entrevue inédites avec l’ancien premier ministre Robert Bourassa, ainsi que le témoignage exhaustif de la secrétaire de P.-H. Desrosiers, qui connaissait le moindre détail sur la vie de P.-H. Desrosiers et son oeuvre.
“Si je suis encore débouté à la Cour suprême, je préfère m’exiler et aller publier ce livre dans un autre pays”, a conclu l’écrivain.
© La Presse Canadienne, 2003